Accueil 5 En débat 5 8 mars | Rétrospective de la Journée Internationale des droits des femmes

À l’approche du 8 mars, nous sommes nombreux et surtout nombreuses à s’agacer des promotions et campagnes publicitaires vantant la Journée de la femme et à dénoncer ces récupérations commerciales qui décrédibilisent la « Journée internationale des femmes », appelée d’ailleurs en France « Journée internationale des droits de la femme ».

Mais d’où nous vient cette journée commémorative et revendicatrice ?

Résolution sur la Journée internationale des femmes

IIe Conférence internationale des femmes socialistes, Copenhague, le 27 août 1910

En accord avec l’organisation syndicale et de lutte des classes du prolétariat de leurs pays, les femmes socialistes de tous les pays organiseront tous les ans une Journée des femmes, dont l’objectif premier est l’obtention du droit de vote. Cette revendication doit être examinée à l’aune de la question des femmes dans la conception socialiste. La Journée des femmes sera internationale et fera l’objet d’une organisation soignée…

Clara Zetkin, Käte Duncker et leurs camarades

C’est en effet l’Allemande Clara Zetkin (1857-1933) qui, dès 1910, revendique une date consacrée à la cause des femmes, mais il faudra attendre 1977 pour que les Nations Unies instaurent « La Journée internationale des femmes », le 8 mars de chaque année, afin de promouvoir la lutte pour les droits des femmes et la réduction des inégalités. En France, c’est en 1982 que Yvette Roudy, alors ministre déléguée aux droits de la femme, amène notre pays à reconnaître cette date comme la « Journée internationale des droits des femmes ».

Qui était donc Clara Zetkin, infatigable militante, pionnière du féminisme socialiste international, dotée d’une grande intelligence et extrêmement visionnaire ?

Clara Eißner est née en 1857 en Saxe d’une famille attachée aux idéaux de la Révolution française. Elle entreprend des études de haut niveau pour une femme de son époque et devient enseignante en littérature, en histoire et en langues étrangères. Elle rejoint en 1878 le Parti socialiste ouvrier d’Allemagne (SAP), l’année même où sont votées les « Lois antisocialistes » qui interdisent les partis politiques et les organisations socialistes et sociaux-démocrates, ainsi que toutes leurs activités, au sein de l’Empire allemand. Malgré ces lois, elle participe clandestinement à la diffusion du journal du SAP. En 1882, elle s’exile à Paris avec son compagnon Ossip Zetkin, dont elle prend le nom bien qu’ils ne se soient jamais mariés. Elle étudie alors les œuvres de Marx, Engels et Bebel ainsi que l’histoire de la Révolution française et de la Commune de Paris. Le couple fréquente les milieux socialistes polonais et d’émigrés russes et rencontre des dirigeants du Parti ouvrier français, ainsi que des personnalités telles que Louise Michel.

Jeune mère de deux enfants, Clara découvre le concept de la « double journée » associée « … à la misère d’une vie de bohême ». Peu de temps après le décès de Ossip Zetkin, le SAP lui demande de préparer le Congrès socialiste international de Paris en juillet 1889 qui sera le congrès fondateur de la Deuxième Internationale.

Elle y fera une intervention, aussi remarquée que controversée, qui marque le début de sa carrière politique. Elle y expose notamment sa vision du travail des femmes et de la place qu’elles doivent prendre dans la lutte des classes. Elle y défend ardemment le travail féminin à l’extérieur du foyer en tant qu’élément moteur de l’indépendance économique des femmes. « Vouloir supprimer ou réduire le travail féminin, cela signifie condamner la femme à la dépendance économique, à l’asservissement social et à la prostitution dans le foyer et en dehors de celui-ci ». Son discours et ses arguments en heurtent plus d’un, à une époque où même les socialistes sont divisés sur le travail féminin, perçu comme une concurrence déloyale des hommes et entraînant des baisses de salaire.

Après l’abolition des lois antisocialistes (1890), Clara Zedkin rentre en Allemagne et devient rédactrice en chef de la revue « Die Gleichheit » (L’égalité) consacrée aux intérêts des travailleuses, qui se veut un outil d’éducation populaire des femmes ouvrières et d’information sur leurs conditions de travail. Rosa Luxemburg, grande amie de Clara Zedkin, y contribuera régulièrement.

Clara Zedkin prône l’organisation politique et syndicale des travailleuses. Elle constate que contrairement à la journée de travail des hommes, celle des femmes ne connaît pas de limite, à l’usine et au foyer, à quoi s’ajoutent ce que l’on appellerait aujourd’hui des comportements sexistes et du harcèlement sexuel au travail.

L’adhésion à un parti politique étant interdite aux femmes par la loi prussienne, elle crée une structure parallèle, les Conférences des femmes sociales-démocrates, qui envoie des déléguées élues à chaque congrès du SPD. S’ouvre alors un nouveau chapitre de la lutte pour l’ouverture du droit de vote à toutes. En effet, le mouvement féministe bourgeois revendique alors un droit de vote limité à certaines catégories sociale. Clara Zedkin, opposée à ce « droit de vote pour les dames » milite pour un suffrage direct et universel pour l’ensemble des femmes, quelle que soit leur condition sociale, et fait notamment entendre sa voix en ce sens dans le cadre des deux premières éditions de la Conférence internationale des femmes socialistes : « [La femme] revendique l’égalité de droit politique, tel qu’il s’exprime dans le suffrage, en tant que nécessité sociale et en tant que déclaration de maturité sociale. »

Le combat pacifiste s’ajoutera ensuite au combat féministe et atteindra son paroxysme avec la Première guerre mondiale. Alors que les différents partis socialistes ont accepté de se considérer ennemis dans la guerre, Clara entreprend alors de réunir, malgré tout, les femmes de l’Internationale, les appelant à une conférence pour la paix, au nom des valeurs de l’internationalisme prolétarien abandonné par les partis politiques constituant l’Internationale. La Conférence, organisée à Berne du 16 au 28 mars 1915, réunit soixante-dix femmes socialistes de presque tous les pays en guerre.

La révolution allemande de novembre 1918 permet au mouvement féministe d’obtenir le droit pour les femmes de voter et d’être élues. Clara Zedkin adhère alors au Parti communiste d’Allemagne (KPD) et devient députée de 1920 à 1933. Contrainte de fuir l’Allemagne à l’arrivée des nazis au pouvoir et l’interdiction du KDP, elle meurt quelques semaines plus tard en exil à Moscou.

Le combat en faveur du travail des femmes aura été le fil rouge de toute sa vie. Peu de temps avant sa mort, elle élaborait encore un programme de protection pour les travailleuses à travers un projet de loi revendiquant l’égalité totale face à l’emploi, la protection de la maternité ainsi que la suppression des lois interdisant l’avortement.

Et aujourd’hui ? Nous avons certes obtenu bon nombre des lois revendiquées par Clara Zedkin et ses camarades et la plupart des combats qu’elle a menés ou auxquels elle a activement participé ont bien avancé, voire abouti au siècle dernier. Du moins en apparence. Car les structures traditionnelles et ancestrales ont la vie dure et trop nombreuses sont encore les thématiques qui restent d’actualité et légitiment la poursuite des combats : travail des femmes et inégalités salariales, indépendance financière, effets des discriminations de sexe, de classe et de race, droit à l’autodétermination, importance de l’éducation, engagement politique, lutte contre le fascisme et pour la paix… Continuons à porter le flambeau de Clara Zedkin et, hommes et femmes ensemble, battons-nous « … partout où il y a de la vie. »

 

Sources :

  • Je veux me battre partout où il y a de la vie : Clara Zetkin, éditions Hors d’Atteinte, 2021
  • Wikipedia : Clara Zetkin

Quelques recommandations :

Lectures :

  • Une farouche liberté : Annick Cojean, Gisèle Halimi, éditions Grasset, 2020
  • La République des hommes :  Gabrielle Siry-Houari, éditions Bouquins, 2021

Théâtre :

Si vous êtes de passage à Paris, ne manquez surtout pas :

  • Et pendant ce temps, Simone Veille à Théâtre du Gymnase : Une rétrospective aussi drôle que détonante de la condition féminine en France des années 50 à nos jours à travers 3 lignées de femmes.

Podcast :

  • Y-a-pas mort d’homme : En 2021, les violences sexistes et sexuelles restent la norme en politique, malgré le combat pour la parité, l’accession au pouvoir, l’égalité des rapports…. Hélène Goutany et Fiona Texeire dans « Programme B » de Thomas Rozec sur binge.audio (un épisode par mois depuis octobre 2021 jusqu’aux élections présidentielles).

 

Anne Henry-Werner
Présidente Français du monde-adfe Hessen (Allemagne),
Administratrice de Français du monde-adfe.

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