Accueil 5 Représentation 5 George Pau-Langevin, adjointe à la Défenseure des droits, en charge de la lutte contre les discriminations et de la promotion de l’égalité

Avocate de formation, députée de Paris, George Pau-Langevin a occupé les fonctions de ministre déléguée à la Réussite éducative de 2012 à 2014 et de ministre des Outre-Mer de 2014 à 2016. Elle a également présidé le Mouvement contre le Racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) et a piloté plusieurs travaux relatifs à la lutte contre les discriminations, notamment un rapport législatif sur les discriminations liées à l’origine.

Vous êtes actuellement adjointe à la Défenseure des droits mais, auparavant, vous avez occupé des mandats et fonctions diverses. Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

J’ai exercé comme avocate à la Cour d’appel de Paris pendant 20 ans, entre 1971 et 2000. Je suis aujourd’hui avocate honoraire. Puis j’ai quitté le Barreau, une première fois, pour aller diriger une structure dépendant du ministère des Outre-mer, Ladom, qui se consacre à la formation et à l’accès à l’emploi des jeunes ultramarins, problème toujours aigu aujourd’hui, comme le montre l’actualité.

Puis j’ai suivi Bertrand Delanoë à la mairie de Paris quand il a gagné en 2001. De là, j’ai voulu être élue comme députée de Paris en 2007, pour montrer que le préjugé de couleur ne l’emportait pas, dans notre pays, sur le principe d’égalité. Entre 2012 et 2016, j’ai eu l’honneur d’être appelée au gouvernement par François Hollande, d’abord comme ministre déléguée chargée de la réussite éducative auprès de Vincent Peillon, puis comme ministre des Outre-mer.

 

Parallèlement, vous avez toujours été une militante de gauche active, mobilisée sur les questions de lutte contre les discriminations, comment expliquez-vous cet intérêt?

Même si je menais dans les années 1968-1971 une vie préservée d’étudiante en droit, comme je venais de la Guadeloupe, j’étais confrontée à la question d’être française tout en portant une histoire, une culture, une apparence différentes de la majorité, et donc je me posais un certain nombre de questions. Il faut dire que la faculté de droit rue d’Assas était considérée à l’époque comme un repaire de l’extrême droite, avec des étudiants n’hésitant pas à s’afficher avec les attributs vestimentaires de néo-nazis.

À l’époque, à la suite des mouvements de décolonisation, il était usuel de répondre à ces questions en prônant l’indépendance des
outre-mers, donc la séparation avec la France. Moi, j’ai préféré m’engager résolument dans la lutte contre le racisme et les discriminations, à l’instar des noirs américains comme Angela Davis, qui se battaient plutôt pour voir reconnaitre leurs droits civiques. J’ai milité au sein de l’association Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les peuples (MRAP), dont je suis devenue rapidement Vice-Présidente, puis Présidente. Je me suis aussi engagée au Parti Socialiste dont les réponses sur ces sujets répondaient à mes interrogations.

J’ai exercé avec bonheur et conscience la fonction de députée, mais je l’ai quittée en 2020 pour rejoindre le Défenseur des droits, car la question de l’égalité des droits et de la lutte contre les discriminations me semble toujours essentielle. Dans mes fonctions actuelles, je n’ai plus d’engagement politique.

 

Quelle est la fonction de cette institution, le Défenseur des droits, quel est son périmètre d’action et à qui s’adresse-t-elle ?

Le Défenseur des droits a été créé à l’occasion de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Son existence est consacrée par l’article 71-1 de la Constitution et deux lois du 29 mars 2011. Il est aujourd’hui chargé de défendre les droits des usagers des services publics, de défendre et promouvoir les droits de l’enfant, de lutter contre les discriminations et promouvoir l’égalité, de veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République. Depuis décembre 2016, le Défenseur des droits est également chargé de veiller sur les lanceurs d’alerte.

Les compétences du Défenseur des droits se déclinent sur deux plans : la protection des droits et des libertés se traduit par le traitement des réclamations qui lui sont adressées. Le Défenseur des droits peut être saisi directement et gratuitement par toute personne, y compris un enfant ou un mineur de moins de 18 ans, qui considère que ses droits ont été lésés. La saisine indirecte est également possible, notamment par des associations de lutte contre le racisme qui doivent justifier du consentement de la personne concernée. La saisine peut s’effectuer par internet, par courrier, ou par le biais des délégués du Défenseur des droits. En outre, le 12 février 2021, une plateforme de signalement a été lancée, antidiscriminations.fr, avec un numéro d’appel, le 39 28, pour accompagner les personnes témoins ou victimes de discriminations.

Aucun secret professionnel ne peut être opposé au Défenseur des droits. À cet égard, le Défenseur des droits peut être d’un précieux appui pour les personnes qui se trouvent confrontées au silence de l’administration. L’institution dispose d’importants pouvoirs d’action : médiation et résolution amiable des différends, transaction pénale, saisine du procureur de la République ou des autorités disciplinaires et possibilité de présenter des observations devant les juridictions.

L’institution déploie également une action de promotion de l’égalité et de l’accès aux droits qui consiste à faire connaître les droits à travers des campagnes de sensibilisation et de formation ou de mesurer par les études qu’il fait réaliser l’ampleur et les mécanismes du
non-recours aux droits, des ruptures d’égalité et des discriminations. Le Défenseur des droits s’appuie sur un réseau national de délégués, qui compte plus de 500 bénévoles, présents sur l’ensemble du territoire, y compris en outre-mer et assure des permanences dans près de 680 points d’accueil.

 

En tant qu’adjointe, quelle est la spécificité de votre poste, quels sont les sujets sur lesquels vous êtes davantage saisie ?

La création du Défenseur des droits a répondu à la volonté de l’État de regrouper quatre autorités : le Médiateur de la République, le Défenseur des enfants, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) et la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE). Chaque adjoint a repris en quelque sorte la suite de l’une des institutions fusionnées. Pour ma part, j’interviens donc sur ce qui concerne la discrimination et aussi sur le racisme s’il se manifeste par un comportement discriminatoire.

La discrimination est caractérisée juridiquement comme une inégalité de traitement en raison d’un critère prohibé dans un certain nombre de contextes définis par la loi (emploi, logement, accès aux biens et services, etc.). Par exemple, dans le domaine de l’emploi, elle peut se traduire par un refus d’embauche ou de promotion en raison de l’origine du candidat ou de la candidate. Elle pourra être sanctionnée, que cette inégalité de traitement soit volontaire ou non, consciente ou non. Les discriminations fondées sur l’origine peuvent être appréhendées par d’autres critères prohibés tels que l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race ; l’apparence physique ; le nom ; la nationalité ; l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une religion déterminée ; le lieu de résidence ;
la capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français.

De fait, les discriminations raciales touchent à la fois la population étrangère ou d’origine étrangère mais aussi l’ensemble des générations nées de parents français assignées à une origine différente comme celles originaires des outre-mers.

En 2020, sur l’ensemble des dossiers reçus au siège, 12% des réclamations concernent le champ des discriminations. L’origine est le deuxième critère invoqué de discrimination après le handicap (19%). Le droit de la discrimination a connu des évolutions notables depuis quelques années, comme le renversement de la charge de la preuve, mais le recours à la justice reste une démarche lourde et difficile pour les victimes. La complexité de la preuve (notamment au pénal), la faiblesse des sanctions et des indemnités ainsi que le coût financier et psychologique pour la victime sont autant d’obstacles qui rendent le recours pénal peu opérationnel.

En droit interne, il est regrettable que les discriminations raciales n’aient pas fait l’objet d’une politique publique dédiée, contrairement à ce qui a été mis en place pour les discriminations fondées sur le genre ou l’orientation sexuelle.

Le Défenseur des droits est aussi beaucoup saisi pour les questions de discriminations relatives au handicap. Son intervention peut porter sur les difficultés d’accès à l’école des enfants, faute d’une assistance appropriée ; sur le refus, lors des examens, de faire bénéficier un étudiant handicapé des aménagements dont il bénéficie durant l’année, sur les refus d’aménagements raisonnables permettant à une personne affectée d’un handicap d’occuper tel ou tel poste de travail.

Nous avons aussi souvent l’occasion d’intervenir sur l’accessibilité universelle pour les personnes porteuse d’un handicap, non seulement l’accessibilité physique, mais aussi l’accès aux sites internet ou aux numéros d’appel d’urgence pour les personnes sourdes, aveugles ou aphasiques.

Nous intervenons aussi très régulièrement sur les questions liées à l’homophobie, les refus adressés aux transgenres qui souhaitent par exemple de leur banque ou d’une autre structure, des documents mentionnant le prénom qu’ils ont choisi en accord avec leur genre ressenti.

Les entorses à l’égalité femme/homme font aussi partie du quotidien traité par l’institution et, en la matière, on peut considérer que, grâce aux luttes menées, des progrès réels ont été effectués dans notre société au fil des ans. On est donc surpris de constater que tant de femmes se heurtent encore à des licenciements ou des mises au placard, à l’occasion d’une grossesse.

 

Peut-on considérer que l’institution accompagne les citoyens et l’évolution de la société ? Si oui, son action est-elle suffisante ?

Je pense que, non seulement notre institution accompagne les évolutions de la société, mais que souvent elle les anticipe et l’aide à évoluer. Nombre de comportements discriminatoires sont fondés sur des habitudes de pensée, des stéréotypes qui ne sont pas suffisamment analysés. En pointant le caractère discriminatoire, et illégal de certains propos ou comportements, au regard du droit, on peut aider à faire changer les choses. L’institution est saisie d’environ 100 000 dossiers par an, dont 5 à 7 000 saisines pour discrimination, ce qui n’est pas suffisant eu égard à la réalité constatée, mais qui est tout de même un chiffre significatif. Par ailleurs, les décisions rendues soit directement par le Défenseur des droits, soit par les tribunaux sur ses observations, contribuent à faire changer les mentalités, même modestement.

 

Pour les Français établis à l’étranger et les binationaux, il existe une délégation qui les concerne tout particulièrement compte tenu des spécificités de leur situation, considérez-vous qu’il soit préférable que leur cas soit traité à part ou au contraire qu’ils soient intégrés dans la communauté nationale ?

Notre réseau territorial de délégués fonctionne sur une base géographique, et se montre plutôt efficace puisqu’ils traitent 80% des dossiers confiés à l’institution. Pour les Français de l’étranger, cette proximité géographique ne pourrait pas s’appliquer correctement, et il existe en effet des spécificités dont des relations nécessaires avec les ambassades et consulats. Nous avons donc désigné un délégué, basé dans un bureau dépendant du ministère des Affaires étrangères, puis devant le succès rencontré, il a été rejoint récemment par un deuxième délégué. Mais rien n’empêche la personne qui le souhaite de saisir directement l’institution par courrier ou mail, mais les modes d’intervention sont forcément à adapter, notamment pour les méthodes d’instruction.

Source : Français du monde N° 205

 

 à lire aussi