Accueil 5 L'association 5 Irlande : Hauts-fonds de Dov Lynch

Hauts-fonds – Dov Lynch

Editions du Seuil

http://www.seuil.com/ouvrage/hauts-fonds-dov-lynch/9782021367423

 

L’histoire commence à Vienne en décembre 1945. Face à Klemens Steiner, dit Klem, ex- policier, se trouve Joseph Still, un officier américain d’origine allemande, qui mène un interrogatoire dont on sent qu’il ne sera pas aimable : l’Américain veut savoir comment l’Autrichien a quitté la ville à l’arrivée des Soviétiques. Rien n’est simple dans cette période mouvementée. Nous sommes dans un entre-deux : entre la zone américaine et la zone soviétique, entre la vérité et le mensonge, entre la guerre qui s’achève et une autre qui s’annonce.

Le récit nous ramène au jour où Klem a fui Vienne avec une femme rencontrée par hasard et un nazi, aux péripéties traversées, aux incertitudes de la mémoire… Et l’interrogatoire reprend.  Subtils allers et retours entre ces deux époques, entre évènements vécus et faits racontés à l’officier. Vient ensuite un saut de plus de 40 ans en avant : en 1989, le régime soviétique s’effondre, Klem revient à Vienne, il comprend enfin les trahisons anciennes et aborde une nouvelle étape de sa vie : il se sent enfin là où il devait arriver …

Le roman est écrit comme en contre-jour, les personnages ne dévoilent qu’une partie d’eux-mêmes, parcimonieusement. Entre silences et demi-vérités, entre  vaincus et vainqueurs, s’esquisse un portrait de l’Europe, ambigüe et inquiétant. Adoptant les codes du roman d’espionnage pour ensuite s’en défaire, Hauts-fonds nous dévoile ce qu’il reste de la vie d’un  homme balloté par l’histoire, les souvenirs, les rencontres, la détresse, le désespoir. Au fil de ces pages souvent noires, il y a aussi des moments de douceur, le regard de Klem sur tout qui l’entoure, le grand fleuve symbole de la vie insaisissable, cette nature qui le touche au plus profond et lui permet de continuer à vivre… et la langue est subtile, maîtrisée et forte.

Diplomate irlandais, actuellement conseiller politique à l’Unesco et spécialiste du Caucase, Dov Lynch a été, au début des années 2000, chercheur  pour les instances de sécurité européenne : il connaît bien tous les aspects des conflits violents, sources d’inspiration de ses deux romans. « Mer Noire », son premier ouvrage, paru en 2015 et écrit en français, décrivait l’aventure d’un militant de l’IRA, d’Irlande du Nord jusqu’à la Mer Noire. « Hauts-fonds », publié en 2018, a d’abord été rédigé en anglais, langue maternelle de l’auteur, puis réécrit en français : une démarche étonnante, exigeante,  et on aimerait savoir ce qui, pour l’auteur,  préside au choix de la langue d’écriture…

Marie-Pascale Avignon-Vernet

 

Suite à la chronique de Marie-Pascale Avignon-Vernet publiée le 20 mars 2018, l’auteur, Dov Lynch, lui a accordé un entretien :

  1. Votre langue maternelle est l’anglais, et pourtant vous avez écrit votre premier roman en français ; le deuxième en anglais puis en français : qu’est-ce qui motive votre choix de la langue d’écriture quand vous écrivez ? 

Si l’anglais est ma langue maternelle et familiale je suis venu en France avec ma famille à 11 ans. Scolarisé dans un lycée français, j’ai vite appris et maitrisé cette langue qu’ensuite, pendant une quinzaine d’années, je n’ai pratiquée qu’à l’oral: en effet, des études supérieures aux USA, une vie professionnelle en pays anglophones (université de Londres, Unesco…) m’ont amené à utiliser essentiellement l’anglais, qui est pour moi langue de formation, langue de ma thèse, langue académique, langue d’écriture professionnelle, formatée et à travers laquelle je comprends le monde.

Alors pour passer à la fiction et à la subjectivité,  pour perdre cette maîtrise linguistique, j’ai ressenti le besoin d’utiliser le français : mais j’ai eu beaucoup de mal à écrire mon premier roman en français, c’était un peu comme si on attachait les deux jambes à un coureur pour l’obliger à avancer en sautant… Cette difficulté, cette recherche exigeante, sont peut-être à l’origine de mon style minimaliste, dépouillé, ciselé, fait de phrases simples, travaillées jusqu’à l’essentiel. En écrivant d’abord « Hauts fonds » en anglais, j’ai adopté tout naturellement la même façon de travailler, polir et élaguer les phrases : elle traduit mon rapport au monde, ma façon de le voir et de m’exprimer.

En réécrivant Hauts fonds en français, et non en traduisant la version anglaise, je me suis donné une plus grande liberté et j’ai eu beaucoup de plaisir à le faire.

  1. Ecrivant en Français vous vous situez activement dans la « Francophonie » ; quelle est votre vision de la Francophonie ? Parle-t-on autant de l’Anglophonie ? Existe-t-il une Organisation Internationale de l’Anglophonie à l’instar de l’OIF ? Sinon pourquoi à votre avis ?

J’ai un fort sentiment d’appartenance à la Francophonie, je me revendique de la Francophonie même si je ne sais pas quelle définition vous en donner ! Il y a 12 ans j’ai décidé de ne plus lire de livres qu’en français, même des traductions de livres anglais… si elles sont bien faites : c’était au début un choix pour m’aider dans le travail d’écriture en français, un choix artistique profond de m’en servir, puis c’est devenu plus émotionnel. Etre et se sentir francophone, c’est se positionner sur le plan artistique mais aussi politique, c’est revendiquer une ouverture à un pluralisme de langues et de cultures.

Il n’y a pas de notion ou d’organisation de l’Anglophonie, comme si ce n’était pas utile, l’anglais étant la langue nécessaire, partagée par tous pour communiquer, évidente …

  1. Vos deux livres évoquent des périodes post-conflits, des personnages marqués par ces guerres, par cette violence qui les paralyse : la guerre est-elle un révélateur, un miroir sans concession ?

Mes études, mon travail académique et de chercheur, tout ma vie professionnelle ont été centrés sur la question de la guerre, du conflit : j’en explore la complexité, les facettes, l’horreur, la terreur, toutes thématiques qui m’interpellent et me posent question depuis toujours. Et plus particulièrement, comme on le voit dans Hauts fonds, c’est l’entre deux conflits qui m’intéresse, ici entre deuxième guerre mondiale et guerre froide, cet « interregnum », ce moment de confusion, où des règles deviennent caduques avant que d’autres ne s’imposent, où les masques tombent, un peu comme au Carnaval !

  1. Avez-vous un autre livre en projet ou en cours d’écriture ?

Oh oui ! mon troisième roman est presque achevé, il parle cette fois de guerre civile, dans un pays moderne, passage au féminin à travers une femme très forte…

Quant à la langue dans laquelle il est écrit, nous le saurons très vite !

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